Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 10 avril 2024 à 11h00

La réunion

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La commission auditionne, dans le cadre d'une table ronde ouverte à la presse sur l'état de la menace du terrorisme islamiste dans le monde, M. Marc Hecker, directeur-adjoint de l'Institut français des relations internationales (IFRI) et rédacteur en chef de la revue Politique étrangère, Mme Anne-Clémentine Larroque, historienne, maître de conférences à Sciences Po, et M. Didier Chaudet, directeur de publication et chercheur associé à l'Institut français d'études sur l'Asie centrale.

Présidence M. Jean-Louis Bourlanges, président.

La séance est ouverte à 11 h 10.

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Mes chers collègues, notre ordre du jour nous appelle à tenir une table ronde sur l'état de la menace de terrorisme islamiste dans le monde. Cet ordre du jour est parfaitement adapté à la situation dans laquelle nous sommes tragiquement plongés avec les événements et les menaces récentes qui pèsent sur un certain nombre de compétitions sportives, notamment de football. Un peu plus de deux semaines après l'attentat qui a frappé la capitale russe le 22 mars dernier, et alors que se profilent d'importants rendez-vous internationaux de diverses natures dans notre pays, il est apparu important que nous nous saisissions de ce sujet qui inquiète l'opinion sans qu'elle sache exactement comment faire face efficacement aux menaces auxquelles nous sommes confrontés. Cette situation doit nous conduire à nous mobiliser, en premier lieu intellectuellement. Il n'est pas interdit après tout de réfléchir avant d'agir.

Je souhaite la bienvenue aux intervenants qui ont bien voulu nous faire bénéficier de leur expertise sur ce sujet. Nous avons parmi nous tout d'abord Marc Hecker, directeur-adjoint de l'Institut français des relations internationales (IFRI) et rédacteur en chef de la revue Politique étrangère. Vous avez écrit de nombreux articles sur les thèmes qui nous réunissent ce matin et notamment Terrorisme, 20 ans après : tout ça pour ça dans le RAMSES 2022, la grande publication de l'IFRI. Vous avez également écrit plusieurs ouvrages dont La Guerre de 20 ans : djihadisme et contre-terrorisme au 21e siècle, en 2021, et Intifada Française, en 2012. Votre analyse nous sera extrêmement précieuse.

Mme Anne-Clémentine Larroque, pour votre part vous êtes historienne, maître de conférences à Sciences-Po et spécialiste de l'idéologie islamiste. Entre 2016 et 2023, vous avez exercé la fonction d'analystes auprès de la justice antiterroriste française, afin de contribuer à la spécialisation des magistrats sur cette thématique. Vous avez publié plusieurs ouvrages dont un Que Sais-je ? sur la géopolitique des islamismes, en 2014, mais aussi L'islamisme au pouvoir : Tunisie, Égypte, Maroc, en 2019 et Le trou identitaire : sur la mémoire refoulée des mercenaires de l'Islam, en 2021. C'est donc avec un regard avisé sur les ressorts de la menace pesant sur notre pays que vous vous exprimerez devant nous.

Enfin, M. Didier Chaudet est présent parmi nous à distance. M. Chaudet, vous êtes un spécialiste de l'Asie centrale post-soviétique et de l'Asie du Sud-Ouest (Iran, Afghanistan, Pakistan). Vous résidez actuellement en Chine. Vous êtes directeur de la publication et chercheur associé à l'Institut français d'études sur l'Asie centrale. Vous avez vécu en Iran, en Afghanistan ou encore au Pakistan, où vous avez été chercheur invité par plusieurs think tanks locaux. Vous avez enseigné à Sciences-Po et vous avez été chercheur à l'IFRI. Votre expérience de ces confins, qui prennent une importance grandissante dans la montée du risque terroriste, et de l'organisation État islamique au Khorasan (EI-K), que vous avez particulièrement étudiée, nous sera des plus utiles.

Plutôt que de me livrer à une introduction thématique par trop inexperte, je préfère directement céder la parole aux spécialistes que vous êtes. Nous sommes tous au fait de la menace islamiste et nous nous posons des questions comme tout un chacun à ce sujet mais je pense qu'il revient en premier lieu à nos invités de nous livrer leur analyse de la situation.

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Marc Hecker, directeur-adjoint de l'Institut français des relations internationales (IFRI) et rédacteur en chef de la revue Politique étrangère

Merci de votre accueil : c'est un honneur d'intervenir devant vous. La demande d'audition de ce jour m'est parvenue juste après l'attentat de Moscou. Elle est liée à cette actualité et au fait que le public a découvert – ou redécouvert – à cette occasion la branche de l'État islamique pour la province du Khorassan. Cette dernière avait déjà fait la « Une » de l'actualité en août 2021 avec un attentat particulièrement meurtrier à l'aéroport de Kaboul.

J'aimerais toutefois insister sur le fait que la résurgence de la menace terroriste dont nous allons parler aujourd'hui n'est pas un phénomène conjoncturel. Cette résurgence a quelque chose de structurel et, dans certaines zones – comme au Sahel –, parler de résurgence est même trompeur tant la menace s'y développe depuis des années.

La première chose sur laquelle je souhaite attirer votre attention est que la décentralisation de Daech – et avant elle d'Al-Qaïda – procède d'une stratégie.

Commençons, dans l'ordre chronologique par Al-Qaïda. Les documents retrouvés dans la dernière cache d'Oussama Ben Laden à Abbottabad, en 2011, ont permis de mesurer à quel point l'organisation avait été ébranlée par l'opération Enduring Freedom, déclenchée le 7 octobre 2001 par les États-Unis. Cette opération avait conduit au renversement du régime des Talibans, à la destruction des camps d'entraînement terroristes et à la neutralisation de nombreux djihadistes.

L'organisation d'Oussama Ben Laden avait alors misé sur une double stratégie de décentralisation pour survivre. D'une part, un investissement conséquent avait été réalisé dans la propagande sur Internet, de manière à susciter des vocations djihadistes, y compris dans les pays occidentaux. Une décennie plus tard, Daech a su porter la propagande en ligne à un niveau supérieur mais la voie avait clairement été ouverte par Al-Qaïda, qui avait déjà su transformer Internet en véritable plate-forme opérationnelle. D'autre part, la deuxième forme de décentralisation mise en œuvre par Al-Qaïda était une décentralisation régionale. Celle-ci s'est caractérisée par l'ouverture de « filiales » dans différentes zones : en Irak dès 2004, puis au Maghreb en 2006-2007 avec Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) puis Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) en 2009 ; puis Al-Shebab en Somalie a rejoint officiellement Al-Qaïda en 2012. On peut également mentionner Al-Qaïda dans le sous-continent indien (AQSI), qui a été créée en 2014.

Contrairement à Al-Qaïda, dont la stratégie de décentralisation a été progressive, la décentralisation de Daech a été pensée dès l'origine. Le califat proclamé à l'été 2014 se voulait mondial. Il a suscité dans les mois qui ont suivi des allégeances venant de différentes parties du monde musulman. Daech a structuré ce déploiement mondial en créant une « administration des provinces distantes ». Cette administration est devenue par la suite la « direction générale des provinces », elle-même divisée en neuf bureaux régionaux, allant du Levant à l'Asie du Sud, en passant par l'Asie centrale ou encore l'Afrique. Ces bureaux supervisaient eux-mêmes plusieurs provinces. Par exemple, pour ce qui concerne l'Afrique subsaharienne, on comptait deux bureaux régionaux – Maktab al-Karrar et Maktab al-Furqan – supervisant des provinces en Afrique de l'Ouest, au Sahel et en Afrique centrale. Cette structure évolue encore, en fonction notamment des rapports de forces. Par exemple, en 2022 a été créée une province du Sahel, alors qu'il s'agissait jusqu'alors d'une branche de l'État islamique en Afrique de l'Ouest.

Cette organisation en provinces avait été pensée dès l'origine comme un facteur de résilience. Dès 2016, les plus hauts cadres de Daech pressentaient que la perte du sanctuaire syro-irakien était possible, et même peut-être au-delà. Dans un discours de mai 2016, le porte-parole de l'État islamique de l'époque, al-Adnani, évoquait par exemple l'éventualité de la perte de Raqqa, Mossoul et Syrte. Il concluait qu'une telle éventualité ne signerait pas la défaite de l'organisation, celle-ci étant capable de survivre sans contrôler de territoires.

Que s'est-il passé après la perte du sanctuaire syro-irakien de Daech en 2019 ? Tout dépend bien sûr de la zone que l'on examine mais quelques tendances peuvent être identifiées. Je me contenterai d'en mentionner trois, faute de temps.

D'abord en zone syro-irakienne même, Daech n'a pas disparu. Les rapports successifs des comités de l'Organisation des Nations Unies (ONU) suivant les évolutions de la mouvance djihadiste internationale ont estimé que l'organisation terroriste avait conservé des milliers de combattants opérant en mode dégradé et que, par ailleurs, une partie des membres du groupe étaient repassés à la vie civile pour amasser des fonds en attendant des temps meilleurs. Même si les attaques ont été bien plus sporadiques certaines années, elles n'ont en réalité jamais cessé. Il faut en outre mentionner le fait que des milliers de prisonniers sont encore présents dans des prisons ou des camps, en particulier dans les zones kurdes du Nord-Est de la Syrie. La problématique du risque d'évasion a regagné en intensité depuis l'attaque de la prison al-Sinaa à Hassaké en 2022. Ce n'est pas la seule tentative recensée mais c'était de loin la plus spectaculaire. Tant que des milliers de prisonniers resteront dans la zone, le risque demeurera.

La deuxième tendance est relative à l'Afghanistan, où le retour au pouvoir des Talibans en 2021 a suscité de fortes inquiétudes. Je ne m'y attarde pas car ce sujet sera évoqué plus spécifiquement par les deux intervenants suivants.

Enfin la troisième tendance a trait au déplacement du centre de gravité de la mouvance djihadiste internationale vers le Sud, en particulier vers l'Afrique. La France a été focalisée sur le Sahel, faisant face jusqu'à la fin de l'opération Barkhane à la fois au Groupe de soutien à l'Islam et aux musulmans (GSIM), lié à Al-Qaïda, et à l'État islamique au Grand Sahara (EIGS). Jusqu'en 2019, on observait une exception sahélienne : Al-Qaïda et Daech avaient tendance à s'éviter alors que sur les autres zones, ces deux groupes se livraient à des combats fratricides. Puis cette exception a pris fin, même si l'on constate depuis plusieurs mois la capacité du GSIM et de l'EIGS à cesser les affrontements inter-djihadistes pour se focaliser sur d'autres cibles : armées locales, milices, mercenaires. Mais l'Afrique compte aussi deux autres fronts du djihad particulièrement actifs. D'une part, autour du lac Tchad, où des scissions ont touché le groupe historique Boko Haram, avec à la clef, l'affrontement de différentes mouvances liées au groupe Jama'at Ahl el-Sunna lil-Da'wa wal-Jihad (JASDJ) et à l'État islamique en Afrique de l'Ouest. D'autre part, l'autre front africain actif depuis maintenant plusieurs décennies est la Corne de l'Afrique, et plus spécifiquement la Somalie, où Al-Shebab reste considérée comme l'une des branches d'Al-Qaïda les plus puissantes. Des missions de l'Union africaine s'y sont succédé avec l'implication de pays comme l'Ouganda, le Burundi, l'Éthiopie et le Kenya. Par ailleurs, deux nouveaux foyers djihadistes sont apparus au Mozambique avec Ansar al-Sunna – qui a intégré la province d'Afrique centrale de Daech – et en République démocratique du Congo avec les Forces Démocratiques Alliées, dont le chef a également prêté allégeance à l'État islamique. L'apparition de ces deux foyers n'a pas laissé les acteurs régionaux ni internationaux indifférents. Des pays comme l'Afrique du Sud, le Rwanda ou l'Ouganda ont par exemple décidé de participer aux opérations militaires contre les djihadistes.

Je consacrerai les dernières minutes de mon intervention à vous dresser un état des forces djihadistes dans ces principaux foyers, c'est-à-dire là où ils se comptent par milliers. Je me base sur les derniers rapports onusiens en date du premier trimestre 2024.

Au Levant, nous constatons une forte attrition des émirs de Daech mais le nombre de combattants de l'organisation est toujours estimé entre 2 500 et 5 000 hommes. Une recrudescence d'activité est notée dans le désert de la Badia en Syrie – le mois de mars 2024 y a été celui où la mouvance islamiste a été la plus active depuis 2017 – et dans les zones de Kirkouk et des monts Hamrin en Irak.

En Afghanistan, le dernier rapport de l'ONU note une attrition importante des cadres intermédiaires de Daech au Khorasan, sachant que le nombre de combattants était évalué dans les précédents rapports à plus de 4 000. Par ailleurs, l'ONU relève la réouverture d'une demi-douzaine de camps d'entraînement d'Al-Qaïda en Afghanistan.

Au Yémen, Al-Qaïda dans la péninsule arabique est jugé en repli. Le groupe a annoncé la mort de son émir en mars 2024 mais ses effectifs sont encore estimés à environ 3 000 combattants. La propagande d'AQPA a par ailleurs connu une recrudescence notable, avec en particulier la reprise du magazine Inspire sous forme de vidéos.

Sur les trois fronts africains, la situation est la suivante : Al Shebaab, en Somalie, compterait entre 7 000 et 12 000 combattants et ses revenus annuels avoisineraient les 100 millions de dollars, issus de taxations illicites essentiellement ; l'État islamique en Afrique de l'Ouest disposerait de 4 000 à 7 000 combattants et les factions djihadistes adverses auraient entre 1 000 et 2 000 combattants; enfin, au Sahel, où le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans et l'EIGS sont présents, les combattants se compteraient par milliers dans chacune des deux organisations. Dans ce dernier cas, les rapports onusiens les plus récents ne comportent pas d'estimation précise mais nous sentons que ces groupes montent en puissance. L'EIGS s'efforce par ailleurs de montrer qu'il aurait des capacités de gouvernance. Ce mouvement s'est montré capable de manier le bâton mais aussi la carotte, en rouvrant des marchés ou en redistribuant du bétail. Simultanément l'EIGS maintient une main de fer sur certaines zones, avec par exemple le blocus de Ménaka.

Je ne peux conclure ce panorama sans évoquer brièvement deux points.

Le premier concerne l'impact de l'attaque du 7 octobre 2023 en Israël et de la guerre à Gaza qui s'en est suivie. Même si le Hamas n'appartient pas à la mouvance djihadiste internationale, on voit qu'Al-Qaïda comme Daech cherchent à tirer profit de cette situation. On note en particulier une recrudescence de leur propagande en ligne et des appels à conduire des attaques. Beaucoup de messages ciblent les juifs, mais pas uniquement. Dans son allocution du 4 janvier 2024, le porte-parole de Daech – Abou Hudaifa al-Ansari – appelle à viser aussi les chrétiens, les régimes arabes apostats et les chiites.

Le deuxième point concerne l'Europe, et plus spécifiquement la France. Une problématique essentielle est la manière dont l'instabilité internationale que je viens de décrire impacte notre pays. Cela renvoie au sujet du terrorisme projeté et du terrorisme téléguidé qui s'ajoutent à la menace dite « endogène » et au terrorisme d'inspiration. Le sujet sera sans doute abordé dans les questions et je me tiens donc à votre disposition pour tenter de répondre à vos interrogations sur ce point.

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Didier Chaudet, directeur de publication et chercheur associé à l'Institut français d'études sur l'Asie centrale

Dans le temps qui m'est imparti, je ne pourrai pas aborder tous les aspects liés à Daech au Khorasan mais nous pourrons approfondir certains sujets à l'occasion des questions. Tout d'abord, le Khorasan correspond à la zone orientale de l'Iran culturel, recouvrant toute la zone persanophone. Le Khorasan est lié à un hadith très probablement falsifié attribué au Prophète, qui a facilité la révolution abbaside à l'époque : il évoquait l'idée d'un drapeau noir qui partirait de cette zone persanophone pour marcher sur Jérusalem sans que personne ne puisse arrêter cette armée. Les Talibans afghans et pakistanais et tous les djihadistes de la région se sont approprié cette idée.

Pour l'État islamiste, le Khorasan correspond à une zone très mouvante. À l'époque de la création du mouvement, d'après les propos tenus par les combattants emprisonnés avec qui les chercheurs ont pu s'entretenir, en 2015-2016, le Khorasan était considéré dans son acception la plus large. On sentait déjà l'ambition du groupe, qui voulait frapper en Afghanistan, au Pakistan, en Iran et en Asie centrale. Puis au fil du temps et avec la perte de territoires en 2019 en Afghanistan, le Khorasan ne correspond plus qu'à l'Afghanistan et à la zone pashtoune du Pakistan, où le mouvement est en concurrence frontale avec les Talibans. Une scission a eu lieu à l'époque – un État islamiste étant censé se concentrer sur l'Est du Pakistan, un autre sur l'Inde et un dernier sur l'Iran – mais toutes les actions terroristes menées dans la région sont attribuées à l'État islamique au Khorasan.

Ce groupe s'est implanté antérieurement à la création même de l'État islamique, profitant de l'attrait pour la guerre en Syrie qui avait été suscité par Al-Qaïda à l'époque. L'objectif était de démontrer la capacité d'Al-Qaïda à mobiliser des djihadistes partout dans le monde. Les Talibans y voyaient un intérêt pratique : ils voulaient continuer à attirer les fonds provenant de la péninsule arabique – principalement d'Arabie saoudite et du Qatar. Ils étaient de moins en moins intéressés par le combat en Afghanistan. Leur but était de récupérer des fonds pour le combat en Afghanistan.

Les Talibans « canal historique », fidèles au mollah Omar et à ses successeurs, se sont opposés à cette idée, mais en 2011-2012, ils étaient assez affaiblis et ils étaient encore divisés. Ainsi, Al-Qaïda puis l'État islamique ont réussi à débaucher un certain nombre de commandants talibans, afghans et pakistanais en particulier. En 2014-2015 même les groupes qui acceptaient de coopérer avec l'État islamique en Afghanistan et au Pakistan se sont rendus compte qu'ils étaient spoliés de leurs commandants et de forces. C'est alors que la coopération a tourné en confrontation. Au début de 2015, l'État islamique au Khorasan est proclamé : ce groupe comptait entre 5 000 et 6 000 combattants à l'époque – les estimations sont toujours difficiles.

Comment l'État islamique a-t-il pu se maintenir sur place face à la compétition des Talibans et de la République islamique d'Afghanistan soutenue par les Américains et par leurs alliés ? Pour plusieurs raisons. Tout d'abord, l'EI-K a continué à cannibaliser un certain nombre de groupes, et notamment le mouvement islamique d'Ouzbékistan. Il a également coopéré avec d'autres groupes qui se sont éloignés pendant un temps des Talibans pakistanais comme par exemple le Groupe islamique armé (GIA) ou l'Armée des combattants libres. Ces groupes n'ont véritablement réintégré les Talibans pakistanais qu'en 2020. Le but de Daech au Khorasan a toujours été de coopérer avec d'autres groupes pour profiter de leur réseau avant de les cannibaliser. Je pense notamment aux suprématistes sunnites pakistanais. Leur idéologie était proche de celle de l'EI-K. Une autre force de ce groupe était son attractivité auprès des plus radicaux. Ce groupe refuse l'approche nationale et refuse donc de restreindre son cadre d'action à l'Afghanistan ou même au Pakistan. L'idée directrice est celle du choc des civilisations avec l'Iran considéré comme impie, le Pakistan considéré comme à moitié hindou, et les pays d'Asie centrale considérés comme des pions de la Russie. La guerre ne peut donc pas s'arrêter en Afghanistan, quoiqu'il arrive. Cela signifie que lorsque Daech au Khorasan a perdu des territoires entre 2017 et 2019 à l'Est et au Nord de l'Afghanistan, ce n'était pas véritablement problématique. Le mouvement a eu tendance à frapper plus fort et plus violemment car il n'avait plus besoin de plaire à une population. Son but était de plaire aux radicaux qui composaient ses forces.

Au vu de la situation actuelle, l'EI-K pourrait bien inclure beaucoup plus le Nord de l'Afghanistan et l'Asie centrale que le Sud. Les Pakistanais ont réussi à liquider ses principales cellules en 2015-2016 grâce à des actions anti-terroristes. Sa capacité de retour reste limitée. Le principal problème actuel des Pakistanais est le retour des Talibans pakistanais. Au Nord de l'Afghanistan, l'EI-K réussit à recruter, et encore davantage depuis l'arrivée des Talibans au pouvoir. L'EI-K représente une protection pour les non-Pashtounes, qui rejettent de plus en plus le régime des Talibans. Il peut s'agir d'islamistes ou d'anciens Talibans afghans. Il existe actuellement des tensions entre les Talibans ouzbeks et tadjiks, d'une part, et les Talibans au pouvoir à Kaboul, d'autre part. La situation pourrait devenir très vite intenable pour ces Talibans qui représentent des minorités ethniques.

Par ailleurs, depuis 2018-2019, des Ouzbeks des Tadjiks d'Afghanistan mais aussi venant de pays d'Asie centrale sont de plus en plus recrutés par l'EI-K. Ces recrutements ont commencé antérieurement au retour des Talibans au pouvoir et ils n'ont fait que se renforcer depuis. La propagande de l'EI-K est de plus en plus souvent exprimée en russe, en ouzbek ou en tadjik. L'objectif est d'attirer ces populations. L'EI-K a compris depuis longtemps que ces États d'Asie centrale étaient relativement faibles, et notamment le Tadjikistan. Le Tadjikistan, le Kirghizistan et l'Ouzbékistan ont connu de nombreuses difficultés au début de leur indépendance. Le Tadjikistan a subi une guerre civile et l'Ouzbékistan aurait pu en connaître une sans la politique extrêmement rude d'Islam Karimov dans la vallée du Ferghana. Le rêve de l'EI-K serait de créer un califat au Nord de l'Afghanistan et en Asie centrale. Ce n'est pas totalement impossible. Il sera important que les pays occidentaux gardent cela à l'esprit. Il ne faut pas sous-estimer ce groupe.

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Merci pour ce tableau très intéressant : la situation géopolitique de cette région est la fois passionnante et préoccupante.

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Anne-Clémentine Larroque, historienne, maître de conférences à Sciences Po

Ces trois dernières années, je me suis concentrée sur deux régions particulièrement touchées par le terrorisme islamiste, avec des répercussions indirectes en Europe : le Caucase et l'Asie centrale. Ces pays ont connu des phases de secousses après le délitement de l'Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS). Cela a été le cas au Tadjikistan – comme cela vient d'être rappelé – mais aussi de la Tchétchénie, à l'occasion des guerres contre la Russie. Les Tchétchènes avaient gagné la première guerre en 1995-1996, puis les Russes avaient réagi avec une grande violence. Pour faciliter son accès au pouvoir, Vladimir Poutine avait alors employé un narratif particulièrement explicite, affichant sa volonté d'aller « chercher les Tchétchènes jusqu'au fond des chiottes ». Toute la région s'est fracturée à l'époque, non sans conséquences pour l'Occident puisque les peuples nord-caucasiens – pas seulement des Tchétchènes – ont émigré massivement.

L'Asie centrale – composée des pays en « stan » –, c'est-à-dire le Kirghizstan, le Turkménistan, le Tadjikistan, l'Ouzbékistan et le Kazakhstan, se situe au Nord de l'Afghanistan et du Pakistan. Cette zone est propice à être instrumentalisée par Daech au Khorasan en raison des traumatismes qu'elle a vécus.

Ces deux régions ont chacune leur histoire mais elles ont aussi un passé commun avec l'URSS. Elles sont à l'origine d'actions très importantes en Occident mais aussi en Russie, avec notamment le dernier attentat en date du 22 mars. La communauté nord-caucasienne est responsable d'attentats en France, comme à proximité de l'opéra de Paris en 2018, l'assassinat de Samuel Paty par Abdoullakh Anzorov – un Tchétchène – ou encore l'attentat d'Arras commis par Mohammed Mogouchkov, le 13 octobre 2023, contre un autre professeur, Dominique Bernard.

Ces passages à l'acte nous invitent à réfléchir à propos de la radicalité éprouvée par des jeunes nord-caucasiens, et notamment à l'encontre de l'école de la République. On peut y voir une marque d'hostilité mais aussi un potentiel court-circuit entre leur radicalité issue de leurs coutumes, l'acquisition d'une idéologie djihadiste pas nécessairement présente dans la famille au préalable. Ces deux systèmes normatifs entraînent une réaction hostile au système républicain français.

Dans certains dossiers que j'ai pu examiner, j'ai pu remarquer des connexions entre le Caucase et l'Asie centrale. J'ai notamment en mémoire le cas d'une personne d'origine daghestanaise qui, à peine de retour de Syrie, est repartie directement en Asie centrale. Cette personne n'avait aucune connexion préalable avec cette région : elle venait du Daghestan et elle était installée depuis quelques années dans le centre de la France avec sa famille.

La connexion entre ces deux régions s'explique par un passé traumatique commun. Des ressortissants tchétchènes qui ont été interrogés ont indiqué qu'ils étaient conscients du caractère traumatique de leur passé, avec notamment la déportation par Staline, en 1944, de plus de 500 000 Tchétchènes et Ingouches en Asie centrale. La diaspora caucasienne a maintenu des relations avec sa région d'origine, ce qui peut être l'origine de similitudes entre des événements se déroulant dans le Caucase ou au Khorasan. Comme l'un des autres intervenants vous l'a expliqué, l'État islamique au Khorasan existe depuis 2015, tandis que l'Émirat du Caucase fut fondé par Dokopu Oumarov en 2007, faisant suite à une première tentative infructueuse de Chamil Bassaïev de créer un État islamique en Tchétchénie. L'Émirat du Caucase est d'inspiration qaïdiste, avec la « victoire » d'Al-Qaïda en Afghanistan et les attentats du 11 Septembre.

Par ailleurs, en 2015, la Willaya du Caucase – c'est-à-dire la province du Caucase – est créée et absorbe une bonne partie des effectifs de l'Émirat du Caucase. Ce mouvement a bénéficié de l'influence galvanisante d'Abou Omar al-Chichani, dit Omar le Tchétchène, ministre de la guerre de l'État islamique, à qui des jeunes Tchétchènes radicalisés se réfèrent encore aujourd'hui.

Les régions du Caucase et d'Asie centrale présentent également des similitudes culturelles. Elles ont été toutes deux colonisées par les Russes pendant des siècles, avec parfois des mouvements de résistance, incarnés notamment par les écoles soufies. Je pense en particulier à la Qadiriyya pour la Tchétchénie mais il en existait d'autres en Asie centrale. Ces écoles ont résisté à la tentative de russification des territoires. La religion peut devenir une forme de résistance. Cet argumentaire peut trouver un écho chez les combattants djihadistes potentiels dans ces régions.

Les Russes essaient de contrecarrer ces potentielles attaques. Ainsi, Vladimir Poutine, en ramenant la famille Kadyrov dans son camp, a voulu montrer que des indépendantistes très musulmans pouvaient devenir pro-russes. En Asie centrale, cela passe par le renforcement des potentats locaux. Je pense notamment au Tadjikistan, avec Emomali Rahmon. Le Parlement a accepté qu'il soit président à vie et il est considéré comme le père de la nation. Comme Kadyrov, il a un rapport assez ambigu avec la religion car il doit l'incarner en menant une politique qui s'oppose aux islamistes radicaux et aux djihadistes tout en côtoyant des fondamentalistes.

Je rappelle que les Soviétiques ont imposé l'athéisme à des populations musulmanes pendant soixante-dix ans. Un tel contexte favorise la résurgence de la radicalisation.

Le cas de Gulmurod Khalimov est très intéressant à mes yeux. Je vous recommande à son sujet le très bon reportage diffusé sur Arte intitulé : « L'appel de Daech en Asie centrale ». Le numéro trois de l'antiterrorisme tadjik, qui commande des unités de forces spéciales, a décidé de quitter le gouvernement tadjik pour devenir ministre de la guerre de l'État islamique en 2015-2016, prenant la succession d'Abou Omar al-Chichani à la mort de ce dernier. Un Tadjik remplaçait ainsi un Tchétchène au sein du haut-commandement de l'État islamique. Ce n'est pas anodin.

La stratégie de propagande de L'État islamique à la mort d'Abou Bakr al-Baghdadi, fin octobre 2019, me semble intéressante. Le Conseil de la choura de l'État islamique a nommé un nouveau calife, Abou Omar al-Turkmani – « le Turkmène ». C'est la première fois depuis Abou Moussab al-Zarqaoui – un Jordanien – que l'organisation a nommé un non-Irakien calife dans cette région. Ce n'est pas anodin à mes yeux car, en 2017, certains ressortissants sont partis de France vers le Khorasan. Les dirigeants de Daech ont compris, alors que les batailles de Raqqa et de Mossoul étaient en cours, que le berceau initial était encore d'actualité.

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Je vous remercie. Vous nous avez ouvert, tous les trois, des chemins à travers des labyrinthes fort complexes. Face à un diagnostic aussi précis et aussi préoccupant, la question primordiale consiste à préserver nos démocraties occidentales de ces groupes. Face à une situation aussi complexe, la réponse n'est pas évidente.

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Tout d'abord, je tiens à vous remercier, au nom du groupe Renaissance, pour votre état des lieux précis de la menace du terrorisme islamique dans le monde et notamment sur la décentralisation ou la régionalisation de Daech, en Asie centrale en particulier.

Le contexte de la menace terroriste est maintenant indéniable. C'est un contexte complexe et multifactoriel. Depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis jusqu'au plus récentes attaques en Europe et en Russie, les motivations de ces actes de violence sont diverses, souvent enracinées dans des tensions politiques, sociales et religieuses. Les attentats de 2001 aux États-Unis orchestrés par Al-Qaïda étaient explicitement perçus comme une riposte à l'intervention militaire américaine en Irak et au soutien de ce pays en Israël dans le conflit israélo-palestinien. Les attaques en France en 2015 étaient en partie une réaction à l'intervention militaire française en Syrie et en Irak ainsi qu'aux tensions sociales et religieuses qui prévalaient en Europe à cette époque. Toutefois, arrive-t-on véritablement à analyser les motivations liées aux attaques islamistes sur les différents continents ? Pour certains spécialistes, les liens entre opérations extérieures militaires des pays occidentaux dans les pays musulmans et les réponses terroristes à ces opérations semblent indéniables.

Cependant il est regrettable de constater que dans de nombreux débats populaires, un lien entre immigration à terrorisme est souvent évoqué de manière simpliste par certains partis politiques. Cette corrélation semble être établie par une rhétorique qui associe implicitement immigration – et en particulier celle en provenance de pays majoritairement musulmans – et terrorisme.

Existe-t-il pour cela des études empiriques rigoureuses démontrant une corrélation ou pas entre le pourcentage de population musulmane immigrée dans certains pays et le nombre d'attaques terroristes perpétuées sur leur sol ?

Enfin, nous sommes assez bien informés des attentats en France ou dans les pays occidentaux mais nous suivons moins l'activité terroriste en Asie ou en Afrique. Existe-t-il des cartographies illustrant l'intégralité du terrorisme islamiste à l'échelle mondiale malgré la nature évolutive et diffuse de celle-ci ? Cette tâche semble complexe en raison des évolutions de ce phénomène. Néanmoins, il est impératif de poursuivre nos efforts dans ce domaine pour mieux comprendre et anticiper les menaces terroristes à travers le monde.

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Anne-Clémentine Larroque, historienne, maître de conférences à Sciences Po

Concernant votre dernière question, je vous recommande le site liveumap.com, que j'utilise moi-même pour mes cours ou mes recherches. Vous pouvez y trouver une cartographie alimentée par les réseaux sociaux des pays en question, recensant les attaques et les forces en présence. Toutes les régions en conflit dans le monde sont reprises sur ce site, et notamment l'Afrique subsaharienne. Il en est de même pour la Syrie, l'Irak, l'Afghanistan ou le Pakistan. Des cartes de Sciences-Po sont également disponibles en ligne.

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Marc Hecker, directeur-adjoint de l'Institut français des relations internationales (IFRI) et rédacteur en chef de la revue Politique étrangère

Tous les pays n'ont pas nécessairement les moyens de mener des recherches dans différentes zones. En France, nous sommes relativement sous-dotés pour suivre une menace aussi diffuse. Parmi les sources utilisables, je mentionnerai celles du Combating Terrorims Center de Westpoint, aux États-Unis, et notamment CTC Sentinel – une publication mensuelle – ou la base Acled, qui recense les violences politiques dans le monde entier. Cette dernière permet de voir très concrètement la montée de la violence au Sahel par exemple. Je vous recommande également le Long War Journal et les cartes éditées par l'Institute for the Study of War.

Pour ce qui est des motivations, je pense qu'une distinction doit être établie entre les groupes et les organisations, d'une part, et les personnes radicalisées de l'autre. Les organisations élaborent une véritable stratégie, ou agency en anglais. Elles agissent en fonction de textes doctrinaux qui identifient très clairement leurs ennemis, qui sont en particulier les Occidentaux mais plus largement tous ceux qui ne leur ressemblent pas, de près ou de loin. Quant aux individus qui passent à l'acte, leurs motivations peuvent être très variées. Elles dépendent de leur parcours de radicalisation mais aussi de leur profil socio-psychologique. Les spécialistes identifient des facteurs d'attraction ou de répulsion. Le contexte dans le quartier de la personne peut également être propice à sa radicalisation. Des individus peuvent y être incités à passer à l'acte. Les chocs moraux peuvent aussi servir de déclencheurs, comme il y a quelques mois avec le lancement de l'offensive militaire à Gaza à la suite de l'attaque du Hamas du 7 octobre 2023.

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Il est clair que les événements consécutifs à l'attaque du Hamas ont provoqué une véritable ébullition des réseaux terroristes.

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Notre civilisation a connu, au cours de son histoire, de nombreuses menaces mais celle que nous subissons actuellement est la pire de toutes car, en plus de nous menacer physiquement, l'islamisme menace les valeurs de notre République. L'islamisme est une menace complexe qui a des implications à l'échelle mondiale. C'est une menace majeure pour l'émancipation des femmes : leurs droits sont réduits, l'éducation est restreinte et les violences à leur rencontre persistent. L'islamisme pose un défi pour notre laïcité, principe fondamental de notre République. Il est également une menace pour la sécurité internationale en encourageant le recrutement de combattants étrangers.

Notre pays a subi ces attaques sur son sol : le père Hamel, Charlie Hebdo, le Bataclan, Arnaud Beltrame, l'attentat de Nice, Samuel Paty, Dominique Bernard et malheureusement bien d'autres. En évoquant ces drames j'ai une pensée émue pour les victimes et pour leurs familles.

Cette menace est en hausse et touche de nombreux pays à travers le monde, les derniers événements en date étant l'attentat de Moscou et la nouvelle vague de menaces contre les établissements scolaires, notamment dans les Hauts-de-France. Depuis, le dispositif Vigipirate a été relevée à son niveau maximal, qualifié d'« Urgence attentat ».

L'éradication de l'islamisme n'est plus une option mais une nécessité. La France doit s'armer face au terrorisme islamiste et chasser de son territoire national tout comportement fondamentaliste. Il en va de nos libertés et de nos vies. D'après un sondage de l'institut CSA pour CNews publié en novembre dernier, 78 % des Français estiment que l'islamisme constitue une menace pour la France et pendant ce temps, les attaques contre nos institutions se multiplient.

Comment peut-on accepter qu'un proviseur soit menacé de mort et démissionne pour avoir demandé à une élève de retirer son voile ? La République ne peut pas accepter de se mettre à genoux et elle doit rester debout face à ceux qui la combattent. Le sujet de cette table ronde est la menace du terrorisme islamiste dans le monde mais ce n'est plus une menace ce que nous subissons. N'ayons pas peur des mots, c'est une véritable guerre menée par des lâches ! Cette menace est aujourd'hui mondiale et l'ensemble des pays occidentaux sont des cibles pour ces barbares.

La lutte contre le terrorisme islamiste est un défi complexe qui nécessite une approche multidimensionnelle. Pensez-vous que la coopération internationale soit pour le moment suffisante pour lutter contre cet ennemi de la démocratie ?

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Comment établir un lien entre ces stratégies de décentralisation que vous avez évoquées et les menaces très directes qui pèsent sur les démocraties occidentales dont nous sommes les garants ? C'est une question très importante.

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Anne-Clémentine Larroque, historienne, maître de conférences à Sciences Po

La coopération internationale existe. Elle a permis de monter une coalition pour faire face à l'État islamique à la fin de 2014. Des alliances ont été conclues avec les Kurdes du Rojava pour les aider à chasser les djihadistes. Dans nos contrées, des instances étatiques travaillent en coopération avec l'Union européenne, notamment. Je citerai par exemple le Réseau de prévention de la radicalisation en Europe, qui sera par la suite transformé en « knowledge hub ».

Nous assistons effectivement à une montée en puissance du phénomène de radicalisation et des passages à l'acte. Cette tendance remonte à 2001 dans les pays occidentaux. Nous devons réfléchir au modèle civilisationnel que nous pouvons proposer. Si les écoles et les professeurs sont attaqués, si le groupe des étudiants talibans existe, si Boko Haram – dont le nom signifie « livre occidental » – est notre ennemi, c'est aussi notre modèle humaniste et éducationnel qui est visé. Pour les pays qui veulent lutter contre l'islamisme, l'école est un lieu primordial. Pourquoi les mineurs se radicalisent-ils de plus en plus tôt ? Pourquoi les petites écoles sont-elles également touchées et les instituteurs visés aux côtés des professeurs ? Nous avons également affaire à une forme de terrorisme intellectuel. Une réflexion est menée au niveau européen à ce sujet, et ce depuis 2011. Nous accentuons même nos efforts dans ce domaine.

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Marc Hecker, directeur-adjoint de l'Institut français des relations internationales (IFRI) et rédacteur en chef de la revue Politique étrangère

J'aimerais réagir à certains points du discours qui vient d'être tenu. Nous ne devons pas sous-estimer ni surestimer la menace. À plusieurs périodes de l'histoire du djihadisme, cette menace à a été sous-estimée mais, à d'autres, elle a été surestimée, avec pour conséquence une sur-réaction.

Nous sortons de deux décennies où la guerre contre le terrorisme était le paradigme dominant, sous l'impulsion notamment de la réaction des États-Unis à la suite des attaques de 2001. Mais ensuite, cette thématique s'est installée en France à partir de 2013 pour ce qui concerne les opérations extérieures et 2015 après les attentats tragiques que nous avons subis. Le problème est que le bilan de cette guerre contre le terrorisme est pour le moins mitigé. C'est d'ailleurs le thème de l'ouvrage La guerre de vingt ans que j'ai coécrit avec Élie Tenenbaum. Nous avons essayé de déterminer, de la manière aussi distanciée que possible, ce qui n'a pas fonctionné dans notre lutte et ce qui a mieux fonctionné. Nous ne devons donc ni sous-estimer le menace, ni la surestimer au risque d'une sur-réaction.

La coopération internationale a toujours été extrêmement forte depuis deux décennies et elle est toujours très forte. Pour moi, la problématique se situe ailleurs : nous avons changé d'ère stratégique avec la volonté très claire des États-Unis et de leurs alliés – notamment la France – de refermer la parenthèse de la guerre globale contre le terrorisme. Pour les États-Unis, ce changement de paradigme s'est matérialisé très brutalement, en août 2021, avec le retrait d'Afghanistan ; pour la France, cela correspond au retrait progressif du Sahel et à la fin de l'opération Barkhane.

Nous sommes entrés dans une ère de compétition de puissances, qui s'est matérialisée en février 2022 avec l'agression russe contre l'Ukraine. Les priorités stratégiques ont donc clairement changé. Cela peut se voir dans les documents officiels produits par les ministères de la défense des principaux pays occidentaux, et même au-delà dans ceux produits par la Maison Blanche, entre autres. Cependant, les nouvelles menaces ne remplacent pas les anciennes : elles se cumulent. Nous pouvons être simultanément confrontés à une guerre dans l'Est de l'Europe et à une menace terroriste. La problématique actuelle consiste à essayer de préserver les capacités d'analyse et de lutte contre le terrorisme tout en appréhendant des menaces qui sont d'une magnitude plus importante en termes de vies humaines menacées.

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Didier Chaudet, directeur de publication et chercheur associé à l'Institut français d'études sur l'Asie centrale

L'entité qui consacre le plus de moyens à la lutte contre l'EI-K est celle des services de renseignement des Talibans ! Les Américains se posent d'ailleurs sérieusement la question d'ouvrir le dialogue avec les Talibans… Selon un nombre croissant de sources, il semble qu'un dialogue indirect et limité ait déjà été mis en place entre les services de renseignement américains et ceux des Talibans. À tout le moins, nous pouvons envisager des rapprochements avec d'autres pays de la région avec lesquels nous sommes censés pouvoir discuter plus librement, comme avec le Pakistan. L'Inter-services intelligence (ISI), organisme de renseignement pakistanais, a une mauvaise réputation qui est due à une surestimation de son influence sur les Talibans. Ces deux dernières années, on a eu tendance à systématiquement plaquer la situation de l'ISI vis-à-vis des combattants afghans dans les années 1980 sur les réalités actuelles, alors que les observateurs sur place entre 2015 et 2017 ont pu constater les difficultés éprouvées par l'ISI pour entretenir des liens, y compris avec des groupes qui étaient censés être « à leur botte », comme le réseau Haqqani. Ce dernier contrôle les principaux ministères à Kaboul et affiche un clair rejet de l'ISI, du Pakistan et de la frontière afghano-pakistanaise.

Si nous ne voulons pas engager le dialogue avec les Talibans, nous adresser à eux par l'intermédiaire des Pakistanais est une option. Bien entendu, les Iraniens pourraient être très ouverts au dialogue car ils sont ciblés, en tant que chiites, par ces suprématistes sunnites. Comme pendant la seconde guerre mondiale, il faut parfois accepter de s'associer avec des personnes que l'on apprécie relativement peu pour combattre un ennemi considéré comme plus dangereux.

Quoi qu'il en soit, la question se pose : jusqu'où pourrait aller une coopération régionale face à l'EI-K ? Il pourrait être dans notre intérêt de nous rapprocher de la Chine ou du Pakistan dans cette optique. Dialoguer avec l'Iran ou avec les Talibans directement pourrait être intéressant en théorie mais, en pratique, la relation avec ces régimes est très compliquée.

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Nous assistons aujourd'hui à la résurgence des groupes terroristes, et notamment de Daech. Il trouve un nouveau terreau fertile dans les parties du monde où des années de guerre, comme en Syrie en Irak aux abords de l'Afghanistan, n'auront fait qu'empirer les choses. Parmi ces groupes figure notamment l'État islamique du Khorasan, qui s'est développé avec le retour vers l'Asie centrale des combattants de Syrie et d'Irak et le retrait chaotique des troupes américaines d'Afghanistan après vingt ans de guerre au terrorisme qui n'auront fait qu'aggraver la situation.

L'attentat de Moscou a donc ravivé les souvenirs et les craintes des attentats sur notre sol. Dans ce contexte, la nécessaire analyse très détaillée des groupes en cause, de leur mode d'action et de leurs objectifs est trop souvent écrasée par le récit idéologique reprenant des récits absurdes et inaptes à comprendre le réel, reprenant les grandes thèses du choc des civilisations. Ne doit-on pas rétablir du discernement et de la précision pour mieux comprendre chaque situation, pour agir de manière à appropriée, et non pour mettre de l'huile sur le feu ?

Pensez-vous qu'il soit rigoureux de comparer Daech, un mouvement djihadiste transnational susceptible de frapper dans de nombreux pays, en Europe, dans le monde arabe, en Asie centrale ou en Afrique, à un mouvement comme le Hamas, qui peut également user de ces méthodes terroristes pour créer un Etat sur le territoire d'un pays qui a lui-même combattu Daech.

Une des justifications de l'enlisement dans cette guerre, alors que nombre d'experts pointaient une impasse, était qu'il fallait éradiquer les foyers terroristes susceptibles de viser la France ? Avez-vous des exemples avérés de projets d'attentats contre la France imaginés au Sahel ?

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Marc Hecker, directeur-adjoint de l'Institut français des relations internationales (IFRI) et rédacteur en chef de la revue Politique étrangère

Les idéologies du Hamas et de Daech sont distinctes. L'idéologie de Daech est celle d'un djihadisme international, tandis que le Hamas associe le djihadisme à une forme de nationalisme. Le Hamas est d'ailleurs parfois qualifié d'islamo-nationaliste. Or le nationalisme est quasiment une forme d'hérésie aux yeux de ceux qui prônent le djihadisme international, qui considère que cela divise l'oumma : la communauté des croyants. Cela étant, dans la charte du Hamas, on y retrouve, certes, des références nationalistes mais l'idéologie autour de Jérusalem dépasse le cadre de la Palestine.

Cela étant dit, au vu des événements du 7 octobre 2023, je fais partie de ceux qui considèrent que nous avons affaire à une « daéchisation » des méthodes du Hamas. Certains modes opératoires utilisés le 7 octobre présentent des similitudes avec la mouvance djihadiste internationale. Les chercheurs essaient d'ailleurs toujours de comprendre pourquoi le Hamas a utilisé des méthodes aussi radicales, qui correspondent davantage à celles de la mouvance islamiste internationale.

Il n'existe que peu d'éléments mettant en évidence des efforts de préparation d'attentats en France depuis le Sahel. J'ai personnellement connaissance d'un seul cas où l'auteur d'un attentat avait exprimé une allégeance à un émir sahélien mais ce cas est plutôt exceptionnel. On voit aussi parfois des contradictions entre la propagande et le discours de certains responsables. Je pense par exemple à l'émir d'AQMI, qui avait affirmé que son groupe ne visait pas le territoire français, alors que d'autres responsables, à un échelon inférieur, avaient très clairement fait savoir que la France était visée. Nous ne devons donc pas partir du principe que, dès lors qu'aucun attentat préparé dans le Sahel n'a été commis sur notre sol, cet état de fait pourrait se prolonger indéfiniment. Le développement de sanctuaires est une menace pour nous, surtout sur des territoires où existent des liens historiques avec la France.

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Anne-Clémentine Larroque, historienne, maître de conférences à Sciences Po

À l'époque de l'attentat contre Samuel Paty, AQMI avait exhorté à renforcer le discours anti-français et à encourager à attaquer ceux qui défendraient les intérêts et les opinions exprimées par Emmanuel Macron lors de l'hommage qui a été rendu au professeur assassiné à la Sorbonne, le 21 octobre 2020.

Effectivement, le Hamas et Daech présentent des différences. « Daech » a tendance à devenir un mot-valise. Le phénomène de « daéchisation » a été effectivement évoqué dans les médias mais je ne pense pas que ce terme soit parfaitement approprié. En revanche, nous avons clairement affaire à un phénomène de djihadisation, dans la mesure où l'attaque du 7 octobre 2023 s'apparente au djihadisme terroriste. Je ne pense donc pas qu'il soit pertinent de faire référence à un autre groupe qui n'affiche d'ailleurs pas les mêmes positions à propos d'Israël et de la communauté juive.

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Est-ce une erreur de lecture de notre part ou bien des groupes peuvent-ils avoir tendance à évoquer une proximité idéologique avec Daech ?

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Anne-Clémentine Larroque, historienne, maître de conférences à Sciences Po

Ils expriment un discours similaire mais ils n'utilisent jamais le « label » car ils souhaitent être indépendants de Daech. Les groupes djihadistes sont parfois en concurrence pour occuper l'espace médiatique. Le Hamas n'aurait donc pas intérêt à se rapprocher de Daech. C'est dans le souci de trouver un sens à leur mode opératoire que l'on peut arriver à un tel raccourci. Quoi qu'il en soit, le caractère djihadiste de l'attaque du 7 octobre est avéré.

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Au nom des Républicains, qui s'efforcent de rester extrêmement lucides sur ces questions, j'aimerais vous poser trois questions.

M. Hecker, vous nous avez appelés tout à l'heure à ne ni surestimer, ni sous-estimer la menace. Nous avons l'impression que les pays occidentaux réagissent avec beaucoup d'émotion lorsqu'un attentat se produit mais que, finalement, ils n'agissent guère. Tel est en tout cas le discours que l'on entend souvent. Pensez-vous que nous fassions collectivement preuve de naïveté, de fatalisme ou de faiblesse à propos du terrorisme ? Pensez-vous que les moyens de lutte déployés au niveau de l'État et de la communauté nationale soient suffisants ? En particulier, nos services de renseignement vous semblent-ils suffisamment performants face à cette menace multiforme ? Les moyens budgétaires, l'intensité et la préparation des réactions sont-ils suffisants pour faire face à ces menaces récurrentes ? En un mot, sommes-nous faibles ou en état de combattre le terrorisme islamique ?

Ma deuxième question découle de la première : pensez-vous qu'il serait pertinent de développer des moyens d'action à l'échelle européenne ? La réaction commune qui s'est construite en réaction à l'agression russe en Ukraine était inattendue mais elle est effective. Une démarche similaire peut-elle être envisagée face au terrorisme ? Existe-t-il déjà des initiatives dans ce domaine ? Je pense à l'exemple du Sahel, où la France s'est retrouvée relativement seule et a fini par devoir partir. Elle aurait pu bénéficier de soutiens au niveau européen alors qu'elle faisait face à une menace extrêmement grave.

À propos de la guerre en Ukraine, Vladimir Poutine avait déclaré qu'il fallait « ouvrir un deuxième front » et le conflit israélo-palestinien peut correspondre à cette idée. Ne risquons-nous pas de devoir reporter une partie de nos moyens de lutte contre le terrorisme islamique ?

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On peut inverser votre analyse : la résurgence islamiste pourrait éventuellement être favorisée par la focalisation de l'attention sur l'Ukraine.

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Marc Hecker, directeur-adjoint de l'Institut français des relations internationales (IFRI) et rédacteur en chef de la revue Politique étrangère

Des moyens considérables ont été mobilisés pour lutter contre le terrorisme et la France en est un très bon exemple. La Cour des comptes a publié un rapport très détaillé où elle dévoile les montants financiers et les moyens humains consacrés à la lutte antiterroriste. Par ailleurs, l'arsenal législatif a été considérablement renforcé et vous y avez contribué en tant que députés. Je pense donc que nous sommes très bien dotés. Par ailleurs, la France est encore très vigilante face à la menace djihadiste, étant donné que nous avons été particulièrement touchés. La France fait donc plutôt figure d'exemple.

Il est plus difficile pour nous, en revanche, de traiter la problématique de l'extrémisme non violent, qui est en développement. En France, nous avons pris le problème du séparatisme à bras-le-corps, avec là encore une loi, mais les démocraties libérales sont confrontées à un défi lorsqu'il s'agit de lutter contre des mouvements subversifs mais pas nécessairement violents.

Ainsi, en résumé, nous sommes bien dotés pour lutter contre le terrorisme même si, naturellement, des acteurs peuvent parvenir à passer entre les mailles du filet. Même les États autoritaires et policiers ne parviennent pas à 100 % d'efficacité, comme en témoignent les récents événements à Moscou. En revanche, lutter contre les mouvements subversifs non violents est plus compliqué pour une démocratie libérale.

S'agissant de la coopération européenne, il existe de grandes différences entre les États européens, tant du point de vue du degré d'appréciation de la menace terroriste que des priorités stratégiques. Plus vous vous déplacez vers l'Est, moins les pays sont préoccupés par le terrorisme. Leur menace numéro un est la Russie, suivie de la Russie et de la Russie. C'est notamment le cas en Pologne et dans les pays baltes. Et parmi les pays encore préoccupés par le terrorisme, certains accordent plus d'attention aux groupuscules d'extrême-droite qu'à la mouvance djihadiste. Seuls quelques États membres de l'Union européenne placent la mouvance djihadiste au même niveau que la France. Nous pourrions essayer de former une coalition avec eux et tenter de l'élargir mais il n'existe pas de consensus sur le sujet à Bruxelles.

Pour ce qui est des conséquences de la guerre en Ukraine, les menaces ne se remplacent pas, elles se cumulent. Nous ne devons donc pas céder à la « mode » du moment, qu'elle soit guidée par les médias ou basée sur des éléments plus objectifs. Il est donc important que des acteurs restent focalisés sur les menaces qui n'occupent plus la « Une », du moins jusqu'au prochain attentat.

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Anne-Clémentine Larroque, historienne, maître de conférences à Sciences Po

La Commission européenne a mis en place un réseau de prévention de la radicalisation, qui est très bien doté. Le Conseil travaille pour sa part sur la lutte contre le terrorisme. Ces réseaux comptent des représentants au niveau de chaque État membre. Bien évidemment, nos préoccupations sont différences de celles des Estoniens ou des Polonais mais une acculturation est souhaitée et voulue autour de l'ultra-droite, de l'islamisme et du djihadisme. La perception de la menace islamiste par les Autrichiens, les Suédois et les Danois a évolué : ils se sont rendus compte que les réseaux étaient européens, à l'instar du « Londonistan » dans les années 1990. Nous assistons donc à une réelle prise de conscience, même si elle est relativement tardive. La potentielle menace de djihadisme en Ukraine a d'ailleurs ravivé l'intérêt des pays de l'Est à ce sujet.

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Didier Chaudet, directeur de publication et chercheur associé à l'Institut français d'études sur l'Asie centrale

Je pense, au vu de mon expérience en Afghanistan, que nous sommes en retard au niveau des moyens de lutte antiterroriste. Nous devons tisser des liens durables avec les personnes en lien avec la sécurité et avec les relations internationales dans ces pays. Les Allemands sont très bons dans ce domaine, y compris via leurs fondations. J'ai toujours été étonné de voir leur influence au Pakistan et notre manque de présence par comparaison. Si nous nouons des contacts avec des responsables militaires, nous pourrons beaucoup plus rapidement entrer en contact avec l'ISI, quand nous en aurons besoin, pour gérer un problème avec l'ambassade ou bien coopérer contre un groupe terroriste en particulier. Sans ce travail en amont, nous aurons du retard. La France a donc tout intérêt à tisser des liens avec les élites intellectuelles et militaires sur la durée. Cela coûterait relativement peu. C'est juste une question de volonté politique et diplomatique.

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Vous avez raison pour ce qui est de définir les priorités. Je suis cependant moins optimiste que vous sur les résultats opérationnels effectifs de cette démarche.

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Je vous remercie pour vos interventions particulièrement éclairantes sur la physionomie du terrorisme islamiste. J'aimerais revenir sur la diffusion par les médias espagnols du communiqué de l'État islamique visant les quatre rencontres des quarts de finale, dont Paris Saint-Germain (PSG)-Barcelone ce soir à Paris, et indiquant « Tuez-les tous ! ». La France n'est jamais à l'écart de la menace islamiste et est probablement le pays européen qui en a le plus souffert depuis le début des années 2010. Naturellement la sécurité a été renforcée pour le match de ce soir à Paris mais, évidemment, cela nous interpelle à quelques semaines de l'organisation des Jeux olympiques, même si le ministre de l'intérieur a rappelé que ce type d'événement n'était pas davantage susceptible d'engendrer une menace terroriste.

Comme vous l'avez évoqué dans vos interventions respectives, la menace djihadiste évolue. Gilles Kepel évoque un « djihadisme d'atmosphère ». La directrice générale de la sécurité intérieure parle de « loups solitaires » très difficiles à identifier, souvent radicalisé par les réseaux sociaux. Ils sont consommateurs de contenus violents et sont capables de passer à l'acte, y compris avec des armes très légères.

Depuis 2023, plusieurs projets auraient été déjoués mettant en cause des individus de moins de 20 ans, l'un d'entre eux ayant même 13 ans. Vous l'avez évoqué, des moyens considérables ont été mis en place sur le plan financier, y compris au niveau européen afin d'encadrer les réseaux sociaux –je pense notamment aux Digital services et market Acts, DSA et DMA. Comment aller plus loin ? Est-ce que vous estimez que l'appel de l'État islamique concernant notamment les matches de ce soir pourrait trouver un écho auprès de la population endoctrinée et radicalisée, hostile à nos institutions ? Vous avez évoqué aussi l'école ; quel peut être l'impact de cet appel à ce niveau ?

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Anne-Clémentine Larroque, historienne, maître de conférences à Sciences Po

Pour aller plus loin, il faudrait regarder le problème en face. Des mesures ont été mises en place, notamment sur le plan répressif. Nous sommes capables de mieux réagir et nous avons déjoué de nombreux attentats mais pourquoi est-ce que les auteurs qui passent à l'acte sont-ils de plus en plus jeunes ? Dans certains secteurs comme le gaming – les espaces de jeux en ligne –, à l'école et bien entendu sur les réseaux sociaux, des discours radicaux sont diffusés et sont susceptibles d'encourager des adolescents voire des enfants à passer à l'acte.

Face à cela, les professeurs sont appelés à un travail d'éclaircissement auprès de leurs élèves. J'ai été professeure dans un autre temps et je pense qu'il est préférable de traiter les sujets sensibles plutôt que de les éviter. Le travail de mémoire face aux événements historiques et les rappels culturels sont utiles. La radicalisation est une forme de refus de vivre dans un monde multiculturel. Pourquoi n'accepte-t-on pas le pluralisme des identités, dans un monde où l'individu se dilue entre plusieurs identités ? Au-delà de l'approche pragmatique géopolitique et sécuritaire, je pense que nous devrions mener une réflexion sur la culture en France et développer des outils qui permettent aux jeunes de trouver leurs repères identitaires.

Quant aux potentielles menaces d'attentats que vous avez évoquées, je pense que de tels communiqués ont vocation à se multiplier à l'approche des Jeux olympiques. La propagande sera très fertile, de manière à impressionner les services de renseignement. Nous devrons donc, dans une certaine mesure, relativiser toutes ces annonces.

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Marc Hecker, directeur-adjoint de l'Institut français des relations internationales (IFRI) et rédacteur en chef de la revue Politique étrangère

En l'occurrence, l'image a été réalisée avec un logiciel de base et avec peu de savoir-faire. Il serait sans doute possible d'obtenir très rapidement une image de meilleure qualité avec une intelligence artificielle. Il est devenu très simple de diffuser des messages de ce type, y compris depuis des échelons très bas des organisations terroristes. J'ai été appelé par de nombreux journalistes qui m'invitaient à réagir à ce communiqué. Des réactions politiques ont eu lieu au niveau ministériel et même des échanges au niveau d'Interpol. J'étais grandement surpris.

Nous risquons effectivement d'assister à une multiplication de ce genre de menaces. Ce phénomène n'est d'ailleurs absolument pas nouveau dans l'histoire des confrontations asymétriques. David Galula l'avait déjà identifié pendant la guerre d'Algérie. Nous devons apprendre à réagir à ce type de menaces car, en accordant une audience disproportionnée à ces communiqués, nous allons dans le sens de la stratégie terroriste, qui consiste à terroriser la population. Et je pense que la peur est réelle chez certains lorsqu'ils entendent que des menaces ont été proférées contre des manifestations sportives. Des communiqués du même genre ont récemment visé Air France, des salles de spectacles, des cafés, etc., et si nous cédons à la terreur à chaque fois, nous ne sommes pas tirés d'affaire…

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Depuis Madrid, en 2004, jusqu'à Moscou récemment, en passant par Londres, Bruxelles, Berlin, Barcelone et évidemment Paris en 2015, les réseaux islamistes ont prouvé leur détermination et leur capacité à frapper loin des zones de conflits dans lesquelles ils prospèrent. Cela a été rappelé : l'État islamique, depuis la chute du califat syro-Irakien, a montré sa résilience en essaimant des « franchises locales » dans la péninsule arabique, au Sahel en Afrique de l'Ouest, Indonésie ou encore au Khorasan, dont les membres ont récemment sévi à Moscou. Après les attentats planifiés depuis leur place forte, le danger s'est mué en un terrorisme d'inspiration qui peut naître partout où la propagande islamiste peut être reçue. L'instabilité des relations internationales et les conflits en Ukraine ou au Proche-Orient empêchent une lutte vraiment coordonnée contre cette menace terroriste.

Dans quelle mesure la nouvelle donne internationale, avec le recul du droit et la montée de la conflictualité, fait-elle le jeu de cette menace terroriste et de celle de l'État islamique en particulier ? Entre les inspirés et les franchisés, comment lutter efficacement contre le terrorisme ? Faut-il beaucoup plus impliquer l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) ? On a vu tout à l'heure que l'une de ses missions était la lutte contre le terrorisme. Bref quelle solution globale pouvons-nous trouver ? Faut-il rester toujours sur le plan local, c'est-à-dire au niveau de la sécurité intérieure, ou faudrait-il raisonner en termes de sécurité collective, au niveau de toutes les zones menacées ?

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Anne-Clémentine Larroque, historienne, maître de conférences à Sciences Po

La coopération internationale existe et doit être renforcée. Cela étant dit, une analyse stratégique est nécessaire. Comme vous l'avez souligné, nous avons affaire à une multiplicité de modes opératoires pour radicaliser des individus. L'État islamique n'a plus besoin d'affilier des individus dans sa structure puisque les auteurs revendiquent d'eux-mêmes leur action en son nom alors qu'ils sont inconnus de lui. Nous pouvons y voir une victoire, certes relative, de la propagande : des individus ont envie de commettre des actes pour le compte de Daech sans en faire partie. Cette propagande est à prendre au sérieux car elle fonctionne. Elle fonctionne très bien dans la sphère virtuelle comme dans la sphère réelle. Nous devrions peut-être encore gagner en force de frappe collectivement, et pas forcément individuellement.

Par ailleurs, les organisations terroristes ou djihadistes ont tendance à masquer leur caractère musulman ou djihadiste. Ainsi par exemple AQMI a été remplacé par le GSIM. Les démocraties occidentales devraient mieux expliquer ce qu'est un musulman par rapport à un islamiste ou un djihadiste. Les propagandistes utilisent la méconnaissance de ces questions pour se faire passer pour des représentants du monde musulman.

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Vous avez, M. Hecker, détaillé l'expansion et le renforcement des foyers djihadistes en Afrique, qui tendent à s'étendre vers le Golfe de Guinée et dans la Corne de l'Afrique. J'aimerais savoir si le déplacement du barycentre de ces organisations génère un regain de mobilisation parmi des États africains : l'Afrique du Sud par exemple.

Par ailleurs, quelles évolutions notez-vous dans notre approche de l'antiterrorisme ? Nous avons bien compris que le terrorisme évolue mais en est-il de même pour la lutte antiterroriste ?

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Marc Hecker, directeur-adjoint de l'Institut français des relations internationales (IFRI) et rédacteur en chef de la revue Politique étrangère

Les États africains se mobilisent effectivement. J'en ai cité plusieurs qui s'étaient impliqués militairement, comme le Rwanda par exemple – il a déployé des militaires dans des opérations anti-djihadistes au cours des dernières années – ; l'Afrique du Sud, que vous avez citée également. L'Ouganda s'est impliqué militairement et d'autres États comme le Kenya ou l'Éthiopie s'étaient déjà engagés auparavant. Cela passe parfois par des organisations sous-régionales, comme la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) ou l'Union africaine, et parfois par des accords bilatéraux. Le sentiment de menace s'est propagé sur le continent africain et les États qui en ont les moyens s'efforcent d'y répondre. Car une autre problématique est que tous les États n'ont pas des moyens considérables à mobiliser contre le terrorisme.

Cela m'amène à une autre remarque : les actions anti-terroristes peuvent prendre la forme du renforcement des capacités de certains pays. Ainsi dans le Golfe de Guinée, que vous avez cité, la France est intervenue pour permettre aux États locaux de mieux faire face à ces menaces.

L'antiterrorisme évolue fortement, notamment sur le plan technologique. Parfois d'ailleurs de nouveaux textes législatifs ont été votés, comme par exemple pour permettre l'utilisation d'algorithmes pour faciliter la détection des menaces. Quant aux terroristes, ils s'efforcent d'anticiper les évolutions technologiques de lutte contre leurs actions. Ils ont d'ailleurs réussi à plusieurs reprises à devancer les moyens de lutte et à mettre au point des méthodes imaginatives qui n'avaient pas été anticipées. Le 11 septembre en est l'un des principaux exemples mais je pourrais évoquer d'autres cas.

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La guerre contre le terrorisme qui a été impulsée par les néoconservateurs américains a conduit à la présence américaine en Afghanistan, dans un premier temps, puis de fil en aiguille on en est arrivé, à la guerre en Irak, en 2003, qui n'avait plus grand-chose à voir avec la lutte contre le terrorisme et qui correspondait à la notion de « Nation Building » impulsée par les mêmes néoconservateurs américains. L'opération en Libye en 2007 présente d'ailleurs des traits communs, et finalement la France est intervenue dans le Sahel. L'opération française au Mali a permis, dans un premier temps, d'obtenir quelques succès, puis elle s'est enlisée.

La Mauritanie a pour sa part mis en place des moyens de lutte contre le terrorisme dès les années 2000 et son action s'est avérée très efficace puisque le djihadisme y a été éradiqué. La Mauritanie n'a pas eu besoin de faire appel à la France pour qu'elle envoie des troupes. Elle a concentré ses efforts sur la déradicalisation. Connaissant les insuffisances auxquelles nous nous sommes heurtés dans le Sahel, avec une approche très militarisée et très peu d'aide au développement, cette expérience mauritanienne ne peut-elle pas nous inspirer ? Dans quelle mesure serait-elle transposable ? Que pouvez-vous dire des insuffisances de notre intervention dans le Sahel ?

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Marc Hecker, directeur-adjoint de l'Institut français des relations internationales (IFRI) et rédacteur en chef de la revue Politique étrangère

Alain Antil, spécialiste de la Mauritanie à l'IFRI, pourrait vous répondre de manière plus détaillée que je ne vais le faire. Lorsqu'un sanctuaire djihadiste se crée à l'étranger, il est impossible de régler le problème en envoyant des policiers pour qu'ils arrêtent les leaders. Nous avons donc besoin de moyens militaires pour détruire ce sanctuaire, et si les armées locales n'en ont pas les moyens, une intervention internationale est possible. La France a d'ailleurs agi dans des cadres très précis, sur demande d'intervention des autorités locales, avec l'autorisation de l'ONU et en coalition lorsque c'était possible.

Par ailleurs, l'approche française n'a pas été exclusivement militaire. Elle s'est efforcée d'implémenter la logique « 3D », en combinant la diplomatie, le développement et la défense, même si effectivement le pilier militaire était dominant. Les militaires ne prétendent pas détenir la solution. Ils peuvent obtenir des résultats tactiques et opérationnels en éliminant des émirs et éventuellement des cadres intermédiaires ou en détruisant des camps d'entraînement, mais cela ne fait que créer des opportunités politiques. Il appartient ensuite aux autorités locales de s'en saisir et elles ont eu le plus grand mal à le faire au Sahel, ce qui a abouti à la situation que l'on connaît.

Effectivement, pour des conflits qui ont des dimensions sociale, politique et religieuse très fortes, la solution n'est pas exclusivement militaire.

Pour ce qui est de la Mauritanie, qui est souvent mise en avant, un aspect plus sombre mérite d'être signalé. Je n'ai pas de références précises permettant de l'accréditer mais il semble que, à une certaine période, des négociations aient eu lieu en vue de conclure une trêve avec des groupes terroristes pour qu'ils épargnent le pays. Cela ouvre d'ailleurs plus largement la question : faut-il négocier avec les groupes djihadistes et, si oui, dans quelles conditions ?

Une aide a également été proposée par la France à la Mauritanie, avec notamment le soutien des unités mobiles, qui se sont avérées assez efficaces. La Mauritanie est souvent mise en avant comme un exemple mais je n'irais pas jusqu'à dire que la menace djihadiste y a été éradiquée. Il faut toujours être extrêmement prudent à ce sujet car éradiquer une idéologie est très compliqué. En général, il suffit que les conditions politiques et sociales soient réunies ou qu'un choc géopolitique se produise pour que cette mouvance ressurgisse.

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À présent que les orateurs des groupes politiques se sont exprimés, les collègues vont vous poser leurs questions à titre personnel.

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Nous sommes confrontés à des défis sécuritaires et migratoires d'une grande ampleur. D'un côté, nous renforçons notre système de sécurité intérieure, symbolisé par le plan Vigipirate, une réponse nécessaire face à la menace terroriste persistante : l'attaque de Moscou et les récents appels de l'État islamique à perpétrer des attaques en Occident nous rappellent que notre vigilance ne doit jamais faillir face à cette menace. D'un autre côté, l'Union européenne poursuit une politique immigrationniste irresponsable : aujourd'hui la France est amenée à se prononcer sur le pacte migratoire européen, qui prévoit la répartition des migrants entre les États-membres, et nous connaissons l'incapacité de l'Union européenne à assurer le suivi des migrants ; leur répartition aveugle entre les États-membres et l'Union ouvrira grandes les portes aux infiltrations terroristes et ne fera qu'aggraver la menace.

Vous n'êtes évidemment pas comptables des politiques de nos gouvernants mais pensez-vous que cette politique migratoire de l'Union européenne pourrait potentiellement agir comme un facteur d'amplification des menaces terroristes en Europe, et dans quelle mesure ?

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Marc Hecker, directeur-adjoint de l'Institut français des relations internationales (IFRI) et rédacteur en chef de la revue Politique étrangère

Le lien de causalité entre immigration et terrorisme n'est pas évident à démontrer. J'ai publié il y a quelques années une étude appelée « 137 nuances de terrorismes », où j'étudiais les profils de personnes condamnées en France entre 2004 et 2017 pour des faits de terrorisme et il me semble que 90 % environ des individus avaient la nationalité française. J'avais creusé et j'étais remonté aux générations précédentes et on voyait que, en majorité, ces personnes avaient des parents ou des grands-parents qui venaient soit du Maghreb, soit d'Afrique subsaharienne, le Maghreb étant très largement dominant par rapport à l'Afrique subsaharienne.

S'il serait probablement naïf de prétendre à l'absence de lien, établir un lien systématique est excessif. Une appréciation nuancée et objective de cette problématique me semble donc souhaitable. J'avais été frappé de constater qu'environ 90 % des personnes condamnées pour terrorisme étaient de nationalité française.

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Anne-Clémentine Larroque, historienne, maître de conférences à Sciences Po

Nous avons été marqués par la vague de 2020, durant laquelle trois migrants étaient passés à l'acte, et je me souviens avoir été invitée à l'ambassade de Slovaquie en janvier 2018 afin d'évoquer le fait que, avant 2020, nous avions très peu de dossiers impliquant des migrants. En effet, plus de 90 % des dossiers concernent des citoyens français. On peut être tentés d'établir un lien entre immigration et terrorisme mais le plus important est d'essayer de comprendre pourquoi des Français passent à l'acte.

Parmi eux, on compte environ 70 % de personnes d'origine étrangère et 30 % de convertis. On peut donc s'interroger aussi à propos du passage à l'acte des convertis. Au vu des dossiers, je ne pense pas que l'on puisse rechercher une explication uniquement à partir du fait migratoire. L'immigration joue un rôle dans la radicalisation, ainsi que l'expérience des aînés, mais ce n'est pas l'unique clef d'analyse.

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J'aimerais vous interroger au sujet de l'utilisation des armes autonomes par les organisations terroristes. J'ai été interpellée la semaine dernière par le collectif Stop Killer Robots, qui s'intéresse au danger que représente ce type d'armes. Elles sont capables de sélectionner des cibles et d'exercer la force contre elles sans intervention humaine. Elles n'ont pas de considérations éthiques. Elles ont un coût d'accès apparemment très bas, en termes humains comme financiers, d'un point de vue assez cynique. Elles sont aujourd'hui de plus en plus utilisées en Ukraine et dans la bande de Gaza. Pensez-vous que des organisations terroristes en soient équipées ? Comment pourrions-nous alors nous prémunir de ce risque ?

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Marc Hecker, directeur-adjoint de l'Institut français des relations internationales (IFRI) et rédacteur en chef de la revue Politique étrangère

On a vu des groupes terroristes utiliser des drones mais ces derniers étaient de fabrication très rudimentaire. Ils servaient à du renseignement, à produire des vidéos de propagande avec des images aériennes, ou à larguer de petites charges explosives de manière imprécise. Les armements autonomes correspondent à une technologie plus avancée. On peut alors s'interroger sur le degré d'autonomisation de ces armements mais, à ma connaissance, seuls des États ont la capacité de développer ce type d'armements ; pas des groupes djihadistes. Ils n'en possèdent pas le savoir-faire, ni les moyens.

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En somme, des armes autonomes pour les armées, des lance-pierres pour les « amateurs » !

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Merci pour vos éclairages mais nous pourrions passer peut-être plusieurs jours sur ce sujet, qui malheureusement devient de plus en plus inquiétant, et vos propos ne nous rassurent pas tout à fait.

La menace terrorisme est omniprésente dans le monde, et particulièrement chez nous. Cette menace fragilise l'équilibre de ceux qui nous ont précédés, ont mis des siècles à bâtir : une unité sociétale et structurelle qui unit les peuples au-delà des divisions politiques et territoriales. Cet islamisme est à la fois rampant et galopant. On le retrouve partout, jusque dans les campagnes de promotion de nos institutions, comme en témoignent les dernières polémiques sur la propagande du voile islamique pour les fillettes par la Commission européenne, tout comme on le constate avec les honteuses mais silencieuses agressions et provocations du quotidien dans l'environnement scolaire.

Pensez-vous, Madame et Messieurs, que cette menace terroriste va encore s'aggraver ou qu'elle se calmerait lorsque le monde entier aurait été soumis, ce qui est le but de l'Islam ? Peut-on avoir l'espoir d'éradiquer sinon l'idéologie mais les malfaisants, si nos États agissent plus vite et plus fort, sans avoir la main qui tremble et avec des pudeurs coupables, une tolérance inadmissible mais aussi l'une des reculades qui ressemblent à des trahisons.

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Anne-Clémentine Larroque, historienne, maître de conférences à Sciences Po

Je ne suis pas Nostradamus pour ma part : la réponse que je peux vous donner est en lien avec les générations. J'espère que nous transformerons les générations futures en lien avec cette question, qui est davantage identitaire et culturelle que religieuse à mes yeux. Nos moyens sont de toute façon limités par rapport à l'ampleur de l'expérience individuelle. Nous pouvons travailler sur l'histoire des individus et de leur famille, et établir une connexion entre l'histoire personnelle et familiale et l'histoire au sens global. J'espère que ce travail pourra être fructueux.

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Marc Hecker, directeur-adjoint de l'Institut français des relations internationales (IFRI) et rédacteur en chef de la revue Politique étrangère

Il faut absolument distinguer l'Islam, l'islamisme, le djihadisme et le terrorisme. Ce ne sont pas du tout les mêmes concepts. N'oublions d'ailleurs pas que les groupes djihadistes ont fait l'essentiel de leurs victimes dans le monde musulman lui-même. Pour beaucoup, ils mènent la guerre contre des musulmans.

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Je reprends la question que souhaitait poser notre collègue Julie Delpech, qui a été obligée de s'absenter.

Je souhaite, par ce biais, élargir les réflexions enrichissantes de nos intervenants au cas des femmes rapatriées de Syrie. Le retour de ces femmes sur le sol français soulève d'importantes inquiétudes sécuritaires en raison de leur radicalisation profonde, mise en évidence par les enquêteurs et les magistrats spécialisés. Souvent décrites comme des victimes, nombre de ces femmes ont en réalité endossé des rôles actifs au sein de l'État islamique, défiant toute tentative d'euphorisation qui prévalaient lors des premiers rapatriements. Se pose alors la question de la prise en charge de leur retour.

La France s'efforce de répondre à cette problématique par la création de quartiers spécialisés en prison pour les femmes radicalisées mais la question du suivi à long terme demeure. Aussi j'aimerais recueillir votre avis sur la manière dont nous pourrions atténuer les risques sécuritaires qu'elles posent sans compromettre leurs droits fondamentaux.

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Cette question me semble très pertinente mais il est quasiment impossible d'y répondre.

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Marc Hecker, directeur-adjoint de l'Institut français des relations internationales (IFRI) et rédacteur en chef de la revue Politique étrangère

C'était le sujet de ma dernière étude, que je pourrai transmettre à Mme Julie Delpech. En un mot, nous avons effectivement fait preuve d'une certaine naïveté quant au rôle des femmes au sein des filières djihadistes en Syrie mais la prise de conscience a été tout de même assez rapide. En juillet 2016, un arrêt de la Cour de cassation a acté la conception extensive de l'association de malfaiteurs terroriste : une femme qui serait partie en Syrie pour cuisiner pour son mari djihadiste et se serait cantonnée à ses tâches domestiques est considérée systématiquement comme un soutien logistique à une association terroriste. Dans mon étude, il apparaît que les femmes qui se sont cantonnées à ce rôle domestique ont été condamnées à des peines de prison d'une durée moyenne de six ans. Les femmes condamnées pour de tels faits sont détenues dans des quartiers de prise en charge de la radicalisation. Au-delà de leur séjour en prison, des dispositifs prennent le relais, comme Pairs, qui cherche à désengager ces personnes.

Plusieurs femmes radicalisées ont tenté de passer à l'acte. La vraie difficulté avec ces femmes est qu'elles transmettent leurs « valeurs » à leurs enfants. On touche alors les limites de la démocratie libérale. Nous n'avons pas le pouvoir de nous immiscer dans les foyers pour savoir quelles valeurs sont transmises à la génération future.

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Anne-Clémentine Larroque, historienne, maître de conférences à Sciences Po

Depuis quelques années, les femmes engagent leur responsabilité pénale si elles emmènent leurs enfants en zone de guerre. Elles sont automatiquement poursuivies. Les enfants peuvent leur être retirés par des administrateurs ad hoc.

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La menace islamiste est plus que jamais présente sur le territoire européen. Nous nous souvenons tous de la tragique attaque qui s'est déroulée à Arras, tout proche de ma circonscription. Nous avons également assisté avec inquiétude aux événements tragiques de Moscou qui ont ravivé le spectre islamiste. En avril 2021, l'Union européenne a adopté le règlement relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne mais cette mesure toujours reste toujours très inefficace. Il est nécessaire de trouver un moyen de coopérer dans le cadre de la lutte contre le terrorisme à l'échelle européenne et internationale. L'idéologie islamiste est complètement incompatible avec nos valeurs et relève évidemment d'une vision totalitaire.

Des individus résidant sur le sol français, parfois très jeunes, sont de plus en plus attirés par l'idéologie de l'État islamique par exemple. Nous observons une hausse des cas d'entrisme islamiste dans nos écoles, ainsi que de radicalisation sociale. J'ai pour exemple l'imam Mahjoubi, qui a été expulsé du sol français suite à des actes de provocation à la haine et visant des groupes de personnes spécifiques.

Selon vous, quelles sont les possibilités de coopération internationale ? Plus particulièrement, comment pouvons-nous lutter contre la radicalisation des plus jeunes via les réseaux sociaux ?

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Cette question n'est pas sans lien avec la précédente, même si elle concerne les jeunes.

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Marc Hecker, directeur-adjoint de l'Institut français des relations internationales (IFRI) et rédacteur en chef de la revue Politique étrangère

Comme vous l'avez indiqué, des textes ont été adoptés à Bruxelles au sujet des réseaux sociaux : on peut citer le règlement relatif à la lutte contre la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne, dit « TCO », et le règlement sur les services numériques, dit « DSA ». Ils ne sont pas capables de résoudre instantanément le problème mais de nombreuses mesures d'ordre législatif – comme de la part des principales plateformes – ont été prises, avec des suppressions en masse de contenus. Ce n'est certes pas suffisant car les djihadistes savent se réorienter vers des plateformes plus petites, qui n'ont pas les mêmes moyens. Des coalitions ont été mises en place, à l'image du groupement Tech Against Terrorism, dont le but est justement d'aider les petites plateformes à gagner en efficacité.

Par ailleurs, au-delà de la suppression de contenus et de la suspension de comptes, la lutte dans le champ numérique peut également prendre deux autres formes. Tout d'abord, ces plateformes peuvent être surveillées à des fins de renseignement. Par ailleurs, il est possible de poster du contenu pour porter un discours alternatif, appelé auparavant « contre-discours ».

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Pendant longtemps, l'Arabie saoudite a été perçue comme le principal soutien et bailleur de fonds des organisations islamistes et pourtant le renforcement du pouvoir du prince Mohammed ben Salmane et sa politique de réformes des lois et des institutions de son pays en faveur d'un Islam plus modéré et plus ouvert ont permis de grandes évolutions. L'une des preuves les plus marquantes de ces évolutions consiste dans la visite du patriarche maronite en 2017, première visite officielle d'un responsable de l'Église dans le royaume saoudien.

Cette transformation s'accompagne d'une lutte contre les organisations islamistes, à commencer par les Frères musulmans, dont le pouvoir saoudien s'est fait l'un des principaux opposants, le Qatar devenant le nouveau protecteur de la confrérie. Suite à l'assassinat de Jamal Khashoggi, proche des réseaux fréristes, le prince Mohammed ben Salmane s'est engagé auprès du président Trump à continuer et à accentuer cette lutte contre l'islamisme en échange d'un renforcement des relations diplomatiques.

Je souhaite donc connaître les éléments d'actualité que vous avez à votre disposition à ce sujet et les avancées réalisées récemment par l'Arabie saoudite en matière de lutte contre l'islamisme.

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Anne-Clémentine Larroque, historienne, maître de conférences à Sciences Po

L'Arabie saoudite a créé la Ligue islamique mondiale au début des années 1960. Elle est liée à l'expertise non pas de ses propres wahhabites mais des Frères musulmans dans la capacité à pouvoir s'exporter au niveau international. Un rapprochement a eu lieu, à cette époque, entre la ligne wahhabite et les Frères musulmans. Une rupture est ensuite intervenue après la guerre en Afghanistan pour des raisons politiques et géopolitiques sur lesquelles je ne m'étendrai pas.

Nous nous interrogeons à propos de la manière dont le Moyen-Orient s'organise en fonction des différentes idéologies – salafisme contre Frères musulmans. Il est assez difficile d'obtenir une vision complète dans le sens où le bureau des Frères musulmans, le Maktab, a été transporté au Qatar – voire en Turquie – en termes d'influence. Officiellement en tout cas, l'Arabie saoudite affiche la volonté de soutenir, par exemple, l'Égypte dans son travail de lutte contre les Frères musulmans sur son territoire. La politique actuelle consiste à poursuivre cette ligne à travers des actions entre les États-Unis et l'Arabie saoudite, afin de montrer « patte blanche » vis-à-vis de sa conception de l'islamisme. Les Frères musulmans prennent soin de montrer qu'ils ne se placent pas aux côtés des salafo-djihadiste. Il existe une corrélation historique entre salafisme et djihadisme ; cela a aussi existé pour les Frères musulmans via Al-Qaïda. De même, pour l'État islamique, salafisme et djihadisme sont fortement liés. L'Arabie saoudite affiche la volonté de montrer que son positionnement idéologique est très éloigné. À vous de juger ensuite des véritables tenants et aboutissants.

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Nous sommes arrivés au terme de cette audition. J'aimerais exprimer un certain nombre de remarques, sous forme de questions, que les propos tenus m'ont inspiré.

Vous avez décrit tous les trois, de manière très convaincante et précise, la manière dont les mouvements djihadistes se déclinent. Vous avez dressé un bilan qui faisait apparaître qu'après l'éradication de Daech, nous avons assisté à une décentralisation et une invisibilisation à certains égards de différents mouvements. Initialement, l'État islamique a émergé et a exercé le contrôle d'un territoire. Dans une deuxième phase, il s'est implanté sur un certain nombre de territoires plus ou moins vacants politiquement dans différentes régions du monde, ou bien a trouvé des soutiens auprès de gouvernements « amicaux ». Enfin, nous avons assisté à la diffusion d'une idéologie de manière déterritorialisée, y compris en France par le biais d'un certain nombre de mosquées, conduisant à des actes terroristes et criminels. Les trois attentats qui ont touché récemment des enfants et des adolescents sont typiques de cette nouvelle forme de menace.

Le lien avec l'islamisme est assez avéré, que ce soit pour l'affaire de Viry-Châtillon ou l'agression de Samara par exemple. Comment les parlementaires que nous sommes peuvent-ils lutter ? Il me semble que nous avons été assez efficaces face à une menace « néolithique », c'est-à-dire face à un groupe occupant un territoire donné, conduisant à l'élimination de Daech, que nous avons été moins efficaces sur des terres que nous avions colonisées dans le cadre d'interventions régaliennes classiques, que nous ne sommes pas trop inefficaces face aux opérations d'attentats organisées – bien entendu nous ne pourrons jamais totalement les empêcher, tout comme nous ne pouvons pas arrêter tous les criminels – grâce à nos services de renseignement sur le terrain, mais que nous sommes relativement démunis – quelles que soient nos convictions politiques respectives – face à des initiatives individuelles, de la part de personnes faibles, mal éduquées et à qui des valeurs très pernicieuses ont été inculquées, à l'image de la vague de violence qui frappe actuellement aux abords de certains collèges. Cela impliquerait une intégration de l'appareil d'État dans les champs de la justice, de l'éducation, de la sécurité, etc. Nous ne sommes pas collectivement organisés de manière satisfaisante à cet égard. Cela rend le phénomène que nous étudions aujourd'hui assez angoissant. Partagez-vous cette réflexion ?

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Anne-Clémentine Larroque, historienne, maître de conférences à Sciences Po

Je suis assez d'accord avec vous. Les premiers points que vous évoquiez témoignent de notre capacité à agir sur le plan sécuritaire. La réaction de nos services a été extrêmement forte et nous avons également su coopérer sur le plan international. En revanche, pour la menace la plus diffuse dont vous parliez, nous nous heurtons à la problématique culturelle. Comment pouvons-nous identifier ce qui va mal dans notre société ? Nous nous devons d'être très clairs sur le plan sémantique et de ne pas confondre l'Islam en tant que religion, l'islamisme en tant qu'idéologie et le terrorisme, qui est une infraction. Plus nous serons clairs, mieux les mineurs pourront se situer dans leur environnement.

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Marc Hecker, directeur-adjoint de l'Institut français des relations internationales (IFRI) et rédacteur en chef de la revue Politique étrangère

Je distinguerai pour ma part quatre sortes d'actions. La première consiste à détruire les sanctuaires avec une intervention militaire. La seconde consiste à empêcher le terrorisme projeté, c'est-à-dire l'émergence de groupes structurés. La troisième correspond à l'idée de terrorisme d'inspiration, c'est-à-dire des individus qui passent à l'acte, généralement seuls et sans lien opérationnel avec une organisation terroriste. Les services peuvent effectivement ne pas en repérer certains d'entre eux mais, la plupart du temps, ils parviennent tout de même à déjouer ces attentats. Enfin, nous devons faire face à des actes de subversion dans le domaine politico-social et qui ne correspondent pas au terrorisme en tant que tel. Sur ce dernier terrain, nous sommes davantage démunis. Ces actes contribuent au climat de terreur mais ils ne sont pas considérés comme des actes de terrorisme sur le plan judiciaire.

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Didier Chaudet, directeur de publication et chercheur associé à l'Institut français d'études sur l'Asie centrale

Cette menace diffuse est reliée à une problématique sécuritaire bien plus générale. Je pense notamment aux quartiers populaires, où les habitants sont demandeurs d'une lutte contre l'insécurité, contre les trafics. Cette préoccupation dépasse le cadre de l'islamisme. Nous devons continuer à soutenir les services de renseignement, qui sont je pense notre principale force de frappe contre le terrorisme, et il faut leur donner les moyens d'agir partout, de parler avec tout le monde, pour manquer aussi peu d'attaques que possible. Résidant à l'étranger, j'ai eu le sentiment pendant ces deux heures qu'un certain climat de peur règne en France et qu'il faudrait peut-être relativiser ce sentiment. Nous disposons de bons moyens de protection. De nombreux musulmans vivant en France rejettent les discours islamistes, même basiques. Il ne faudrait pas que la peur prenne le dessus car c'est justement ce que veulent l'EI-K et d'autres. Le choc des civilisations, l'opposition entre l'Islam et le reste du monde, c'est ce qu'ils recherchent. En reprenant leur discours, nous servons leurs desseins.

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Je pense que vous avez raison. La réaction des Français face aux récentes agressions relève davantage de l'horreur que de la terreur. Nous avons été profondément atteints : pour reprendre le titre d'un film célèbre, c'est « le chagrin et la pitié ». Nous avons besoin d'une intervention appropriée et bien pensée de la puissance publique face à cette menace. Comme le maire de Viry-Châtillon, je pense que tous les Français ont pleuré à la suite des événements qui ont frappé cette ville. Nous avons été certes horrifiés par les attentats précédents mais nous avons le sentiment que nous n'avons pas su apporter à des jeunes les moyens de vivre leur vie comme ils y avaient droit. C'est une peine que nous ressentons tous. Je ne pense pas être tellement différent de mes concitoyens sur ce plan.

Je vous remercie tous les trois d'avoir participé à cette table ronde très enrichissante. Je pense que ce n'est que le point de départ et que notre commission se doit d'approfondir cette réflexion, notamment pour ce qui concerne le lien entre intérieur et extérieur, qui est l'une des caractéristiques de la conflictualité moderne.

La séance est levée à 13 h 15.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Carlos Martens Bilongo, Mme Élisabeth Borne, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Bertrand Bouyx, M. Jérôme Buisson, Mme Mireille Clapot, M. Pierre Cordier, M. Alain David, M. Sébastien Delogu, Mme Julie Delpech, M. Pierre-Henri Dumont, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Philippe Emmanuel, M. Nicolas Forissier, M. Thibaut François, Mme Stéphanie Galzy, M. Guillaume Garot, Mme Maud Gatel, M. Michel Guiniot, M. David Habib, M. Alexis Jolly, Mme Stéphanie Kochert, M. Jean-Paul Lecoq, M. Vincent Ledoux, Mme Yaël Menache, M. Jimmy Pahun, M. Bertrand Pancher, M. Didier Parakian, M. Frédéric Petit, M. Kévin Pfeffer, Mme Béatrice Piron, M. Jean-François Portarrieu, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Laetitia Saint-Paul, M. Vincent Seitlinger, M. Aurélien Taché, Mme Liliana Tanguy, M. Olivier Véran, M. Patrick Vignal, M. Lionel Vuibert

Excusés. - Mme Eléonore Caroit, M. Sébastien Chenu, M. Olivier Faure, M. Meyer Habib, M. Michel Herbillon, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, Mme Karine Lebon, Mme Élise Leboucher, M. Laurent Marcangeli, M. Nicolas Metzdorf, Mme Nathalie Oziol, Mme Mathilde Panot, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Michèle Tabarot, Mme Laurence Vichnievsky, M. Éric Woerth, Mme Estelle Youssouffa

Assistaient également à la réunion. - M. Benjamin Haddad, Mme Astrid Panosyan-Bouvet, M. Aurélien Saintoul